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Voler en turbulence : "contrer"

mardi 21 juin 2011, par ppmenegoz

Nos mains : de véritables capteurs. En vol, le pilote perçoit tout de son aile (hors interprétation de ses déséquilibres dans la sellette) par le biais de ses mains.

Le saviez-vous ? Nous sommes tous des aveugles et notre aile nous sert de cane blanche. En vol turbulent, l’inconnu du relief aérologique qui précède nos trajectoires, nous force à avancer à tâtons. Pour ce faire, l’aile est une terminaison nerveuse pour son pilote, les cordelettes de frein des nerfs conducteurs et les mains de véritables capteurs de l’état de santé de l’aile. Ainsi, nos actes de pilotage se font pour une grosse part en réaction de ce que perçoivent nos mains, qui analysent pas à pas l’état de la route que nous suivons.

 Avant de développer ce point de vue assurons-nous de nos connaissances.

La turbulence

Certains définissent la turbulence comme l’affrontement de deux masses d’air de directions et vitesses différentes. D’autres parlent de "relief aérologique" où l’on monte des côtes et descend des pentes. D’autres encore comparent par analogie nos vols au déplacement d’une voiture sur une route plus ou moins "mal pavée". Je rajouterai que nous n’avons pas la chance de visualiser les détériorations du macadam et que les "trous et bosses" peuvent avoir toutes les tailles, y compris celle d’engloutir l’étourdi qui a décollé au dessus des moyens de son expérience. Des rafales de toutes provenances ralentissent ou accélèrent le profil de notre aile ; l’ampleur des effets produits dépendant entre autres de la force du vent, de l’importance de l’instabilité (cf. aérologie) mais aussi de l’âge du capitaine, à savoir l’expérience du pilote. En effet, un pilotage adapté et intelligent permet d’amortir les effets des turbulences alors qu’un pilotage maladroit peut accentuer ces effets.

Les règles du vol en turbulence

D’une manière générale les actes de pilotage en turbulence sont faits pour :
 conserver la trajectoire prévue par le pilote en contrant les effets des turbulences l’écartant de son cap,
 conserver l’aile au dessus de sa tête (j’en vois qui sourient mais "une aile n’est jamais aussi bien qu’à la verticale de la tête de son pilote"). Pour ce faire le pilote se doit de contrôler les mouvements de tangage (avant/arrière) de son aile en l’accélérant lorsqu’elle reste à la traîne et en la ralentissant lorsqu’elle cherche à le doubler.

Mais voler en turbulence c’est aussi "S’écarter des limites du domaine de vol" et donc :
 être conscient du régime de vol de son aéronef et des variations de sa vitesse (pour cela, le pilote dispose de la sensation du vent relatif sur son visage et de son écoulement à proximité des oreilles).
 éviter la vitesse maximum qui implique un angle d’incidence réduit. De fait les risques de fermetures accidentelles sont plus importants.
 éviter le taux de chute mini où la vitesse de l’aile est trop proche du décrochage. Lent, l’aéronef est plus vulnérable aux turbulences qui pourraient le faire décrocher.

Une posture de pilotage

Ainsi, à la base du pilotage le pilote affiche une permanente et modérée tension des commandes. On peut préconiser une posture assise (*), les genoux ouverts pour une bonne stabilité, les coudes fléchis proches du corps, laissant le pilote disponible pour déplacer son poids d’une fesse sur l’autre. L’équilibre dans la sellette, remis en cause par les effets des turbulences, est la priorité du pilotage d’un parapente. Ainsi le poids du pilote doit s’appliquer, avant tout déséquilibre, sur sa fesse la plus haute (sur la fesse qui se soulève ou à l’opposé de la fesse qui s’enfonce). Pour appliquer ou maintenir son poids d’un côté ou l’autre de la sellette, le pilote peut s’aider de la traction de la commande, et au besoin, d’appuis des poignets, avants bras ou coudes sur les faisceaux d’élévateurs, leur base ou encore le flan de la sellette elle même. Il se tient prêt à relever ses mains s’il sent sa vitesse diminuer, à les abaisser pour bloquer une abatée mais aussi à "contrer" l’agression dissymétrique d’une turbulence pouvant l’écarter de sa trajectoire.

Les mains : de véritables "capteurs" de l’état de santé de nos ailes

La perception de notre vitesse se fait par le biais de nos oreilles. En conditions turbulentes, bien que très utiles, ces informations restent insuffisantes (trop tardives) lorsqu’il est question d’anticiper sur les changements parfois brutaux et dissymétriques de régime de vol de chacune de nos demi-ailes.

Pour conserver une vitesse de croisière, le pilote pèse légèrement et symétriquement sur ses freins ce qui signifie un léger mais permanent effort dans les épaules, bras et mains. C’est donc par l’intermédiaire des commandes de freins maintenues bridées, que le pilote peut ressentir les changements immédiats de régime de vol de chacune de ses demi-ailes. Il ressent "en primeur" et dans ses mains, les durcissements ou amollissements des commandes qui le relient à chacune d’elles. Cette perception tactile révèle instantanément les variations de l’incidence ou de la vitesse relative. Si le rendement aérodynamique de mon aile augmente à gauche, corolairement ma commande durcit à gauche tout comme mon assise qui se soulève à gauche aussi.

Ceci va permettre d’anticiper sur les agressions des turbulences en pratiquant les contres nécessaires pour conserver son cap avant de le perdre... et... pour se protéger des fermetures accidentelles ?

Eviter les fermetures associées au "contre"

L’action de "contrer" (conserver son cap) c’est finalement appliquer son poids (sellette + commande) sur la demi-aile dont le rendement est le meilleur. Cela a pour effet d’augmenter ponctuellement l’incidence sur ce côté mais avec l’effet simultané de réduire l’incidence du côté opposé (allégé d’une part de sa charge). Cet effet favorise le risque de fermeture sur la demi-aile déchargée. Le phénomène est d’autant plus présent que l’action de contrer se fait à la jonction de deux masses d’air de vitesses ou de directions différentes et propice à du cisaillement. La réponse du pilote est simple. En produisant son "contre" le pilote veille à conserver un contact constant avec la commande du côté opposé. Il l’abaisse momentanément de toute l’amplitude nécessaire pour conserver un contact pouvant devenir ferme. Il augmente ainsi l’incidence de cette demi-aile affaiblie et fait reculer notablement son risque de fermeture. Le raffermissement presque immédiat de cette dernière commande invite le pilote à, sans exagérément tarder, rendre la main et laisser cette demi-aile reprendre un régime de vol normal.

Pierre-Paul MENEGOZ

Le Contre